Saint-Rambert-d'Albon, cité paisible des bords du Rhône... Et pourtant, que savons nous vraiment de ses origines. Une chose est certaine, entre histoire et légende, se tisse son destin.

Histoire et légende

C’est le 20 mai 1839 que Saint-Rambert-d’Albon prend son nom actuel, suite à l’ordonnance de Louis-Philippe Ier donnée au palais des Tuileries, lorsque la section dite de Saint Rambert est distraite de la commune d’Albon. L’usage de l’époque omettait le trait d’union mais, de nos jours, en toponymie, celui-ci est obligatoire entre les éléments du nom propre. On doit écrire Saint-Rambert-d’Albon et non pas Saint Rambert d’Albon, ou toute autre variante comme, par exemple, mettre en capitale le nom entier. Cette mise au point semble d'autant plus nécessaire que la dérive introduite depuis plusieurs années, par bonne intention ou par démagogie, a laissée des traces dans de nombreux documents administratifs… Et cela, simplement sur la base de propos sans fondement.

Pourquoi Saint-Rambert-d’Albon au lieu de Saint-Rambert-sur-Rhône ou encore Saint-Rambert-en-Valloire ? Tout simplement parce que l’adjonction de la partie terminale d’Albon ne pouvait en être autrement. Pour comprendre cela, il faut remonter au 22 décembre 1789 lorsque l’Assemblée nationale constituante décréta que la France serait découpée en 83 départements. Saint-Rambert-d’Albon était alors qu’un modeste hameau d’un peu plus de 300 âmes revendiqué à la fois par la Drôme et l’Isère. La commission chargée officiellement de fixer les limites départementales n’y va pas par quatre chemins. Sous prétexte que la ligne de démarcation qui sépare les départements de l’Isère et de la Drôme, de l’est à l’ouest et qui s’appui au Rhône entre Saint Rambert et Andance, laisse Saint Rambert au département de l’Isère et Andance au département de la Drôme, celle-ci se borne à inclure Saint-Rambert dans le vingt-unième canton de l’Isère qui, jusqu’alors, était composé des seules communes de Sablons et de Chanas. Mais Saint-Rambert étant une section de la commune d’Albon, le département de la Drôme la revendique telle quelle. Finalement, le bon sens l’emporte. Les citoyens actifs de Saint-Rambert, c’est-à-dire les hommes qui avaient le droit de vote, consultés par les commissaires des deux départements, optent sans hésiter. C’est ainsi que Saint-Rambert resta drômois et intégré, dans la continuité du passé, à la commune d’Albon. Ils n’avaient d’ailleurs aucune raison d’en changer et, de plus, ils n’ont fait que se conformer aux termes de la loi car les Rambertois avaient cotisés sur les rôles d’imposition du chef-lieu de canton d’Albon.

Avant la Révolution, Saint-Rambert-d’Albon se nommait donc Saint-Rambert. C’était une paroisse qui dépendait du mandement d’Albon, fief des Dauphins. Cette terre, relevant du fief des Dauphins, parait avoir toujours eu la même étendue que la communauté du même nom qui comprenait également les paroisses d’Andancette, d’Anneyron, de Saint-Martin, de Saint-Michel, de Saint-Philibert, de Saint-Romain, de Champagne située sur la rive droite du Rhône, et deux hameaux : Albon et Coinaud.

L’histoire nous apprend que les diverses dénominations de Saint-Rambert-d’Albon ont abouti à créer le vocable de Saint-Rambert entre le début et la fin du XIVe siècle. En se référant à l’incontournable Dictionnaire topographique et historique de la Drôme, publié en 1891 par Justin Brun-Durand, on trouve l’appellation de Locus et borgia Sancti Ramberti en 1392, Sanctus Raymbertus en 1307, Sanctus Renebertus en 1300.

C’est vague, et cela autorise toutes les hypothèses, y compris les plus imaginatives. Cependant, le nom que porte notre commune est commun avec plusieurs autres agglomérations de France et surtout des contrées voisines du Dauphiné : Saint-Just-Saint-Rambert, Saint-Rambert-en-Bugey, Saint-Rambert-l’Ile-Barbe. Toutes ces localités paraissent également avoir pris pour patron saint Ragnebert (dont on a fait par corruption saint Rambert [1]), un noble de race franque, qui, le 13 juin de l’an 680, fut mis à mort par les sicaires d’Ebroïn pour avoir soutenu l’évêque d’Autun dans sa lutte contre le redoutable maire du palais de Neustrie. Des cénobites d’un couvent voisin lui donnèrent la sépulture, et de nombreux miracles opérés sur son tombeau portèrent bientôt au loin la renommée de ses mérites. On accourut de toute part pour visiter ces reliques si vénérables. Le nombre des pèlerins devint si grand que leur concours forma peu à peu un bourg auquel on donna le nom du saint qui l’avait en quelque sorte fondé. On y joignit le surnom de Joux pour rappeler qu’il se trouvait à l’extrémité de la chaîne du Jura. Un beau jour, le 19 octobre 1956 cette commune prit le nom de Saint-Rambert-en-Bugey.

Quatre siècles après la mort de saint Rambert, en l’an 1078 pour être précis, ses reliques étaient encore si fécondes en prodiges, que sous l’épiscopat de saint Jubin, archevêque de Lyon, un comte du Forez, nommé Gillin, obtint une partie considérable de ce précieux corps, qui fut transporter dans le prieuré de Saint-André, près de Montbrison. Ce lieu, qui dépendait de l’abbaye bénédictine de l’Ile-Barbe, devint célèbre et le bourg qui avoisine ce prieuré, précédemment dénommée Saint-André-les-Olmes, changea dès lors son nom en celui de Saint-Rambert-en-Forez. Au fils du temps, cette agglomération prend le nom de Saint-Rambert-sur-Loire mais, le 1er janvier 1973, elle devient Saint-Just-Saint-Rambert suite à sa fusion avec Saint-Just-sur-Loire. L’itinéraire de translation est jalonné par un ancien bourg gallo-romain, vis-à-vis de l’Ile-Barbe, sur la rive droite de la Saône, où le convoi dut s’arrêter. Ce village est nommée tour à tour Saint-Rambert puis Saint-Rambert-l’Ile-Barbe (Beauvais-l’Ile-Barbe sous la Révolution) lors de l’absorption, avant 1806, de l’ancienne commune de L’Île-Barbe. Par le décret du 1er août 1963, Saint-Rambert-l’Ile-Barbe devient un quartier du 5e arrondissement de Lyon puis du 9e arrondissement depuis la création de ce dernier par décret du 12 août 1964.

La naissance de saint Rambert ayant eu lieu dans le Forez, et son martyr dans le Bugey, on s’explique parfaitement que son nom ait été donné à des villages de l’une et de l’autres de ces provinces. Mais on s’explique moins bien qu’il ait été donné à un village du Dauphiné, Saint-Rambert-d’Albon, qui du reste, aujourd’hui n’a pas même conservé pour patron le saint dont il porte le nom, puisqu’il célèbre sa fête patronale le jour de saint Blaise. On se perd en conjectures pour l’expliquer, alors que la raison en est bien simple. On peut penser que Blaise de Sébaste, vénéré comme un des Quatorze saints auxiliateurs, qui intercédait dans les cas de maladies de gorge, et principalement la coqueluche, les maux de dents et pour les maladies des animaux, fut, bien avant la mort de Rambert, par tradition populaire, invoqué par les paysans locaux. Ce n’est que supposition, évidemment. Quoiqu’il en soit, au cours des siècles qui suivent, l’étendu du patrimoine de l’abbaye de l’Ile-Barbe ne va cesser de s’étendre, en même temps que son rayonnement intellectuel. Au XIIe siècle, l’abbaye possède plus d’une centaine d’églises et près d’une cinquantaine de prieurés, non seulement dans le Forez, autour de Saint Rambert-sur-Loire, en Dombes, mais aussi en Dauphiné et en Provence. C’est ainsi que le culte de saint Rambert rayonna jusqu’à chez nous et c’est surtout la bulle du pape Lucius III du 11 mai 1183 qui va nous édifier sur les colonies dauphinoises de l’Ile-Barbe à cette époque. Elle nous apprend que le 3 du même mois, Lucius III confirma à cette abbaye toutes ses possessions. Au nombre de celles-ci, nous trouvons une foule d’églises et de chapelles et notamment, dans l’évêché de Vienne, l’église de Saint-Rambert de Fulcimagne (ecclesiam Sancti Ragneberti de Fulcimagna [2]). Une étude de l’abbé Louis Fillet, publiée en 1895 sous le titre L’Ile Barbe et ses colonies du Dauphiné, nous donne deux précisions intéressantes. La première, c’est une fourchette de date au cours de laquelle le village a pris son nom, la deuxième, c’est l’existence antérieure d’un prieuré, sous le nom de Fulcimagne, appartenant à l’abbaye de l’Ile-Barbe. Voici le texte correspondant :

Eglise de Saint-Rambert de Fulcimagne. – Le corps de Saint-Rambert, transféré vers 1080 « du pays de Beugey au monastère de St-André » devint bientôt l’objet d’une grande vénération, et le culte rendu à ce saint fut pour diverses localités dépendantes de l’Ile-Barbe l’occasion d’en prendre le nom. Du nombre de celles-ci fut « le bourg de Fauce-Magne », lequel prit le nom de St-Rambert « à cause de l’église et prieuré fondé en l’honneur du saint par quelque archevêque de Vienne », dit Le Laboureur [3]. Cette fondation est antérieure à 1168, puisque Rolland prieur de Fulcimagne (prior de Fuscimagni) figure parmi les religieux de l’Ile-Barbe qui assistèrent à la transaction passée ladite année entre leur abbé et celui de Bonnevaux. Quand à l’imposition du nom de St-Rambert à Fulcimagne, elle est antérieure à 1183, puisque la bulle de cette année, confirmant l’église et le prieuré de ce lieu à l’Ile-Barbe, mentionne expressément ecclesiam Sancti Ragneberti de Fulcimagna. Au XIIIe siècle, ce prieuré pourvoyait de pain, de vin, de seigle et de fèves, pendant 4 jours de suite à commencer le 9 juin ; le prieur devait au communier de l’abbaye 20 sous viennois par an, pour Guillaume de Varey, clerc, au grand sacristain de l’Ile la cense annuelle de 4 livres de cires, et au chantre de la même abbaye le cens aussi annuel de 6 deniers forts ; enfin, le rôle des aumônes des pauvres porte, entre autres charges imposées à divers bénéficiers de l’abbaye, celle de 6 pauvres et 5 messes pour le prieur de St-Rambert de Fulcimagne. Tout cela était reconnu exact par le prieur même en 1367. Ce prieuré payait 17 livres de décime papale vers 1375, et un pouillé de 1523 mentionne et cotise le prieuré et le prieur séparément de l’église et du curé. Après avoir fait partie de l’archiprêtré de St-Vallier au XIVe et XVIe siècles, Saint Rambert fut au siècle dernier de l’archiprêtré de Roussillon. Il est aujourd’hui une paroisse du canton de St-Vallier (Drôme). Un quartier y porte encore le nom de Fixemagne.

Le Dictionnaire topographique et historique de la Drôme précise que ce quartier changea de nom à plusieurs reprises au cours des siècles, mais presque toujours en conservant la consonance originelle : Prioratus Sancti Ragneberti de Fucimaigni, de Foncigniani et de Fuscimaigni, prioratus Sancti Reneberti Fucimagni et de Faucimagny, prioratus Sancti Ragneberti de Faucimagni, XIIIe siècle (Cartulaire de l’Ile-Barbe, charte 77, 83 et 84) ; Prioratus de Fuscimagny, 1268 (Masures de l’Isle-Barbe, chapitre III) ; Prioratus Sancti Ramberti, XIVe siècle (Pouillé de Vienne) ; Prioratus Sancti Regneberti Fuscimaigny, 1500 (Archives du Rhône, fonds de l’Île-Barbe).

D’après quelques recherches, il semblerait que le nom de Faucemagne [4] viendrait du latin Fauces [5] magnæ [6], qui peut avoir la signification de « grandes embouchures ». Le passé géologique de la région nous rappelle d’ailleurs que la vallée de Bièvre-Valloire est une ancienne vallée creusée au tertiaire (ancien cours de l’Isère) et remblayée au quaternaire par les glaciers alpins qui ont emprunté cette dépression par des formations morainiques et surtout des alluvions fluvio-glaciaires qui constituent un important réservoir d’eau souterraine. Les Collières est l’exutoire superficiel principal de la vallée de Bièvre-Valloire. Avant de se jeter dans le Rhône, après la traversée de Saint-Rambert-d’Albon, il reçoit les eaux du ruisseau de l’Oron.

Evidemment, l’aspect des lieux a bien changé depuis ce temps-là mais si on consulte le premier cadastre de Saint-Rambert-d’Albon, on remarque qu’il a gardé en mémoire deux antiques passages de cette rivière (appelée ruisseau des eaux Claires ou tête d’Oron) pour contourner son embouchure. L’incurvation à l’est du tracé, à partir de l’extrémité nord du village de l’époque, n’est autre que l’actuelle rue Rommelshausen. A l’intersection, ou l’on trouve le pont du Terraly, c’est tout simplement la rue du même nom et la rue de Bon Repos.


Passages antiques de la rivière des Claires et domaine de Fixe-magne


De là, il n’y qu’un pas pour imaginer que la toponymie des lieux raconte l’histoire du prieuré de Faucemagne, du moins la formation de son nom. Mais où se trouvait-il ? Saint-Rambert-d’Albon est encore dans les brumes de l’histoire non écrite et, pour cette raison, on ne sait rien de précis à ce sujet. Il faut toutefois mentionner que, encore aujourd’hui, nous avons sur la commune un quartier qui s’appelle Fixemagne (nommer domaine de Fixe-magne sur le cadastre de 1826). Il se trouve à l’est du village. L’analogie avec Faucemagne est trop évidente pour qu’on ne soit pas tenté d’y voir l’emplacement originel de ce prieuré. Malheureusement, la plupart des édifices de cette époque sont des constructions de bois et de torchis, couvertes de chaume, que le temps n’a pas épargné.

Comme on peut le voir, les origines de Saint-Rambert-d’Albon sont peu connues et, comme bien souvent, la frontière entre histoire et légende est très mince. Il n’est pas toujours possible de distinguer le vrai du faux. Les sources, dites de première main, ne sont malheureusement pas aussi fréquentes qu’on le souhaiterait, notamment en matière toponymique.

On ne peut pas terminer ce modeste texte sur les origines de Saint-Rambert-d’Albon sans évoquer la station de Figlinis figurant sur l’un des plus connus des documents géographiques anciens, la Table de Peutinger [7]. Si l’on en croit certains historiens, spécialistes de l’histoire romaine, notre commune aurait des origines gallo-romaines. La plupart ont démontré d’une manière péremptoire que sur la route de la rive gauche du Rhône, à dix-sept milles de Vienne et à seize de Tain, cette station devait se trouver près de Saint-Rambert-d’Albon, là où peut-être habitait un de ces potiers allobroges dont l’industrie était une des richesses du pays. Pour préciser l’antique origine de Saint-Rambert-d’Albon, faut-il encore avoir découvert, à différentes époques, des débris d’architectures, des tuiles et des médailles romaines ? Nous aurons l’occasion, dans un autre chapitre, de reparler et d’examiner d’une façon plus détaillée les deux gisements archéologiques qui s’y trouvaient encore au siècle dernier. Le mot « archéologique » est peut-être fort pour qualifier ces témoins d’un autre temps, n’empêche qu’ils ont belle et bien existés.


Note complémentaire : Aux Archives du Rhône, il existe un document concernant le prieuré de Saint-Rambert (cote 10 G 3362 – Rentes et redevances perçues par l’abbaye de l’Ile-Barbe, 1565-1609) qui n’a pas été exploité dans ces quelques lignes.



[1] Saint Rambert vient du nom typiquement germanique Ragnebert, « brillant conseiller », du germanique ragina, « conseil », et berhta, « brillant, illustre ».

[2] Notons que dans l’Isère, près de Faverges, au lieudit Saint-Ruph, il a existé un prieuré puis une église portant le non de Faucemagne : ecclesiam de Fulcimania.

[3] Claude Le Laboureur était un bénédictin, prévôt de l’abbaye de l’île Barbe dont il écrivit l’histoire en 1665 : Les masures de l’abbaye royale de l’isle Barbe lez Lyon. Il dût d’ailleurs renoncer à cette fonction pour avoir écrit des propos négatifs à l’encontre du chapitre de Lyon.

[4] RITZ (Louis), La nécrologie de l’abbaye de Talloires dans Mémoires de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie, 1918, vol. VIII, p. 284.

[5] NOËL (François), Nouveau dictionnaire français-latin, 1810, p. 384. Il donne pour le mot embouchure la définition suivante : Entrée d’une rivière dans une autre ou dans la mer.

[6] La forme magnæ est le nominatif féminin pluriel de l’adjectif qualificatif magnus (grand).

[7] La Table de Peutinger est la seule carte ancienne parvenue jusqu’à nous qui représente le réseau routier de communications de l’empire romain.