Le Train bleu, pseudonyme qui avait remplacé,
depuis longtemps, la dénomination officielle de « Calais-Méditerranée
Express », appelé plus familièrement « le bleu » par ses habitués, est
un nom prestigieux qui appartient désormais au passé. Fréquenté par la
haute société, il était exclusivement composé de voitures-lits, d'une
voiture-restaurant et d'une voiture-bar très raffinée, qui ont fait sa
célébrité.
Véritable légende roulante, et symbole éclatant de la course vers la mer et le soleil, ce train mythique [1] passait et repassait avec dédain et fracas, en brûlant la gare de Saint-Rambert-d’Albon… Jusqu’à ce fameux jour du 19 novembre 1952. En 30 ans d'exploitation, ce train n’avait connu aucun accident ferroviaire. Sous la plume de son envoyé spécial, Charles Liénard, le quotidien Le Dauphiné Libéré, dans sa livraison du jeudi 20 novembre, publie un long article accompagné de nombreuses photos commentées. Voici le récit qu’il en fait.
En pleine nuit dans la bourrasque de neige
LE TRAIN BLEU TAMPONNE UN TRAIN DE MESSAGERIES
A ST-RAMBERT-D'ALBON
Un mort (le contrôleur des wagons-lits), sept blessés, dont trois grièvement
Mme Vincent Auriol et M. Paul Auriol, passagers du Train Bleu, sont indemnes
Saint-Rambert-d'Albon, 19 novembre. – On aurait pu redouter une catastrophe ferroviaire d'une extrême gravité, le « Train Bleu », un des plus rapides du réseau, tamponnant en pleine nuit un train de messageries, alors que se déchaîne une violente tempête de neige qui rend la visibilité difficile et gêne vraisemblablement la signalisation ferroviaire, qui, renversant les poteaux et brisant les fils téléphoniques, supprime toute possibilité de liaison.
En dressant le bilan de cet accident on a à déplorer une mort d'homme et sept blessés, dont trois grièvement (la victime et les blessés étant tous frappés dans leur service) et d'énormes dégâts matériels. Au regard de ce qui aurait pu se passer on est amené à conclure que le pire a été miraculeusement évité.
Sans attendre, disons que la rapidité des secours - agents de la S.N.C.F., sapeurs-pompiers, gendarmerie, service médical - a été remarquable. Et que le rétablissement de la circulation ferroviaire a été réalisé dans le minimum de temps, puisque le Train Bleu continuait sa route à 8 h. 24 et que vers midi, les trains passaient sur la ligne de la rive gauche avec seulement un ralentissement à Saint-Rambert.
Le mauvais temps régnait donc depuis la veille : neige, bourrasque, gel. La circulation ferroviaire continuait cependant, gênée par la visibilité réduite. On signalait quelques retards dans les horaires. C'est ainsi que le rapide P3, le « Train Bleu », composé exclusivement de wagons-lits, qui quitte Paris à 20 h. pour passer à Lyon à 1 h. 11 d'où il repart à 1 h. 20 pour être à Valence à 2 h. 41, avait un retard annoncé au départ de Lyon.
Il était un peu plus de deux heures, mercredi matin, et le train de messageries n° 4424, en direction de Lyon, se trouvait en gare de St-Rambert où le service était assuré par M. Champavier, sous-chef de gare. Afin de dégager la voie montante (n° 2) pour un train rapide en direction de Lyon, on dut faire manoeuvrer le train de messageries pour l'amener sur la voie 1 bis, immédiatement parallèle avec la voie descendante (n° 1).
Cette manœuvre amenait le train de messageries à couper la voie n° 1. Cette manœuvre était presque achevée et le 4424 se trouvait presque en entier sur la voie 1 bis, lorsque le « Train Bleu », qui avait vraisemblablement rattrapé une partie de son retard apparut. Marchait-il à pleine vitesse ou avait-il ralenti ? Il est vraisemblable que oui, mais cependant le choc était inévitable entre les deux convois dont les locomotives s'affrontèrent. Il était alors 2 h. 30.
Pendant que sept wagons du train de messageries sortaient des rails, la locomotive du « Train Bleu » se couchait sur son côté droit, le fourgon de bagages, attelé directement après la locomotive – il est généralement à l'arrière du train et s'il en avait été ainsi aujourd'hui la catastrophe aurait été terrible – se dressa en l'air et vint retomber sur la première voiture qui s'écrasa contre la locomotive, le wagon suivant dérailla, le quatrième resta sur les rails.
Tous les wagons étaient métalliques et ils
supportèrent le choc avec le maximum de résistance, mais pourtant la
première cabine de la voiture n° 1 était entièrement écrasée et l'on en
retira l'unique victime, jusqu'à présent, de cet accident. C'était le
conducteur du Train Bleu, agent de la Compagnie Internationale des
Wagons-Lits, M. Roger Goré, âgé de 49 ans, marié, père de trois
enfants, qui habite Calais. Il portait à la tête une blessure mortelle,
et par ailleurs, il était brûlé sur tout le corps par la vapeur du
chauffage qui jaillissait de toutes parts.
De la locomotive, on retira deux blessés graves : le chauffeur, M. Koxon, 42 ans, demeurant à St-Joseph, près de Marseille, très grièvement brûlé sur tout le corps par la vapeur et blessé gravement à la main droite et le mécanicien, M. Martin Giraud, 44 ans, demeurant 73, avenue des Chartreux à Marseille lui aussi gravement brûlé sur tout le corps.
Le chef du train de messageries M. Marcel Chaussouant, 43 ans, demeurant 18, avenue Marc-Urtin à Bourg-les-Valence avait été projeté à terre et il portait une grave blessure à la tête et des lésions à la poitrine.
Les secours
Aussitôt, dans la nuit, les secours s'organisèrent. La sirène d'alarme retentit dans la ville et les sapeurs-pompiers, les gendarmes de la brigade de Saint-Rambert se joignaient bientôt aux agents de la S.N.C.F. Le service médical de la S.N.C.F. fonctionna très vite et le docteur Perret, présent dès le premier moment prodigua ses soins aux grands blessés qui furent aussitôt dirigés sur la Clinique Trenel à St-Colombe-les-Vienne à 35 km. Ils y arrivaient à 4 h. soit 1 h. 30 après l'accident, ce qui démontre avec éclat l'extrême célérité des secours.
D'autres blessés se trouvaient parmi les voyageurs, mais il s'agissait de blessés légers qui tous, après avoir été pansés purent reprendre place dans le train et continuer leur route par la même voie.
Le service des Wagons-Lits toujours à la hauteur des circonstances, avait organisé également dans un temps record un service de boissons chaudes pour les sauveteurs.
Si l'on considère que la tempête de neige continuait à faire rage, que le froid était vif et la visibilité nulle, on doit rendre un hommage mérité à tous ceux qui se montrèrent si parfaitement à la hauteur des circonstances.
Deux voyageurs de marque
On apprenait bientôt que se trouvaient dans le train deux voyageurs de marque et malgré la consigne de silence qui s'établit très vite, le bruit se répandait qu'il s'agissait de Mme Vincent Auriol [2] et M. Paul Auriol [3]. Ils avaient pris place dans la voiture n° 4, la première qui ne dérailla pas. M. Paul Auriol fut du reste très vite sur le ballast, en quête d'un téléphone, mais la tempête de neige avait isolé complètement St-Rambert-d'Albon, et il n'était pas question de téléphoner. Quelques instants plus tard, M. Burgalat, chef de Cabinet du Préfet de la Drôme, arrivait à Saint-Rambert-d'Albon. Il allait s'incliner devant la dépouille de la victime qui avait été déposée à la Mairie, et il constatait la célérité des secours. Le Chef de Cabinet était bientôt rejoint par le Cdt Ferrier, commandant la Compagnie de Gendarmerie, et le capitaine Borel, commandant la section de Romans. M. Burgalat prenait également contact avec M. Paul Auriol.
Un peu plus tard, M. Perreau-Pradier, préfet de la Drôme, était à son tour sur les lieux. Il y était reçu par les représentants de la S.N.C.F. et par M. Berthon, maire ; Clémencon, adjoint, qui avaient été là, les premiers, au moment de l'accident.
Le travail de dégagement des voies
Il importait de prendre de toute urgence des mesures afin de dégager le plus rapidement possible les voies sur cette ligne capitale de la circulation ferroviaire française. C'est à quoi s'employèrent les services de la S.N.C.F., de hautes personnalités de ce service arrivèrent rapidement sur les lieux. C'est ainsi qu'on notait la présence de M. Sauvajol, directeur de la région Méditerranée de la S.N.C.F. ; M. Viguier, inspecteur principal, commandant d'arrondissement ; M. Chaussemy, ingénieur en chef de la Traction ; MM. Gibert, Willemino ; M. Terrasson, chef de section, etc.
Une grue était envoyée du dépôt de Lyon-la-Mouche, une autre du dépôt d'Avignon, une troisième du dépôt de Portes, et l'on s'employa à dégager les voies. Ce travail fut conduit avec méthode et rapidité au point qu'à 8 h. 24, le « Train Bleu » ayant reçu une nouvelle machine venue du dépôt de Marseille-La Blancarde, pouvait reprendre sa route vers le sud, en emmenant tous ses voyageurs.
Les trains cependant qui avaient été détournés sur la rive droite, pouvaient reprendre la rive gauche, aux environs de midi. Il convient de dire, du reste, que la tempête de neige qui avait couché de nombreux poteaux en travers des voies avait causé aussi de sérieuses perturbations dans la circulation ferroviaire.
Là encore, il faut rendre hommage au zèle déployé dans des conditions de températures difficiles.
A SUIVRE...