Un dossier d’archives, découvert par le biais de recherches généalogiques, sort de l'oubli une page d'histoire méconnue de Saint-Rambert-d’Albon. Certes, les pièces trouvées sont très lacunaires, mais elles ne sont pas sans intérêt et permettent de retrouver quelques brides du passé de certains Rambertois.

Les médaillés de Sainte-Hélène

Au cours de ses passages dans la vallée du Rhône, entre 1778 et 1814, qu’ils soient glorieux ou malheureux, Napoléon Bonaparte a traversé à de nombreuses reprises la paroisse de Saint-Rambert en empruntant la Route impériale 8, notre actuelle nationale 7. L’association « Bonaparte à Valence », au terme de ses travaux pour retrouver les traces de Bonaparte, en Drôme-Ardèche, a sélectionné quarante lieux qu’elle a organisé en quatre circuits touristiques. Notre cité est une étape du circuit Nord. Pour commémorer l’événement, et pour que chacun d’entre nous se rappelle ces souvenirs, elle a attribué à notre commune un clou de bronze représentant Bonaparte jeune. Ce témoin du passage à Saint-Rambert-d’Albon du futur empereur a été installé sur la façade de l’Hôtel de Ville, près de la porte d’entrée principale.


Les médaillés de Sainte-Hélène


Evidemment, l’homme, petit par sa taille, grand par sa renommée, c’est peu dire, n’a pas laissé que de bons souvenirs. Parmi les 800 000 morts français des guerres napoléoniennes, combien d’hommes originaires de Saint-Rambert sont restés sur les champs de bataille ou n’ont pas survécu à leurs blessures. L’histoire locale ne nous a pas conservé leurs noms. L’aigle conquérant, qui a pourtant mis en place le Code civil des Français, n’a pas pris soin d’en faire aviser systématiquement les autorités municipales de chaque village. Heureusement, cette page d’histoire n’a pas été toute gommée par le temps et quelques survivants témoignent. On retrouve leurs traces aux Archives départementales de la Drôme, à la cote M 889, dans un gros registre de 130 folios, titré « Médaille de Ste Hélène - Etat des anciens militaires qui ont reçu cette médaille – 1857 ».


Les médaillés de Sainte-Hélène


La médaille de Sainte-Hélène récompense les 405 000 soldats (Français, Belges, Danois, Irlandais, etc.) encore vivants en 1857, qui ont combattu aux côtés de Napoléon 1er pendant les guerres de 1792 à 1815. Il faut attendre l’avènement de Napoléon III pour que ce dernier honore, à sa manière, le vœu de son illustre oncle. Le 12 août 1857, soit trente-six années après sa disparition, Napoléon III prend un décret instituant une distinction destinée à récompenser tous les anciens soldats ayant servi sous la République et l’Empire. La gravure est confiée à Désiré Albert Barre, graveur général des monnaies. La médaille de Sainte-Hélène est née. De bronze, soutenue par un ruban vert doté de cinq rayures verticales rouge, elle est entourée d’une couronne de lauriers et surmontée de la couronne impériale. L’avers figure le profil de Napoléon 1er et sur l’envers sont gravés ses quelques mots :

Campagnes de 1792 à 1815
A ses compagnons de gloire sa dernière pensée
Ste Hélène 5 mai 1821


Les médaillés de Sainte-Hélène


Cette médaille est accompagnée d’un diplôme au centre duquel se trouve le dessin de l’avers de la médaille. Il indique le nom et le grade du titulaire, ainsi que l’unité dans laquelle il a servi. Enfin, il porte le numéro sous lequel ce diplôme est inscrit à de la Grande chancellerie de l’Ordre impérial de la Légion d’honneur.


Les médaillés de Sainte-Hélène


La distribution se fait dans toute la France, le dimanche 15 novembre 1857, jour de la fête de l’Impératrice et anniversaire de la bataille d’Arcole. Le préfet de la Drôme, Joseph Antoine Ferlay, dans une lettre envoyée au ministre de l’Intérieur, le 2 décembre 1857, nous donne un petit aperçu de cette journée mémorable. Voici un extrait de ses écrits : La distribution de la médaille de Ste Hélène aux militaires. Cette distribution a été faite avec solennité le 15 novembre jour de la fête de sa Majesté l’Impératrice et anniversaire de la bataille d’Arcole. On ne peut se faire une idée de l’effet que les médailles produisent sur les vêtements et sur la population toute entière, en recevant la médaille, ces braves gens la baisaient, j’en ai vu qui pleuraient et ils criaient Vive Napoléon III de bien bon cœur. Dans plusieurs communes ils ont fait célébrer une messe pour Napoléon 1er. Ceux de St Vallier ont décidé par écrit qu’ils feraient célébrer chaque année un service pour le premier Empereur et qu’ils y assisteraient tant qu’ils vivraient. L’institution de cette médaille est fort populaire et a fait éclater dans toutes les communes un véritable et très vif enthousiasme pour l’Empereur et pour l’Empire non seulement de la part des vieux vétérans, mais encore de la masse de la population.
Dans la Drôme, comme dans toutes les communes de France, l’histoire de cette médaille débute par une dépêche télégraphique envoyée de Paris, le 15 août 1957, à 3 heures 15 minutes, par le ministre de l’Intérieur, Adolphe Augustin Marie Billault, à tous les préfets. La presse cylindrique de la préfecture de la Drôme ne chôme pas puisque le lendemain, 16 août, un courrier écrit par le préfet est expédié à tous les maires du département, dont voici la teneur :


Monsieur le Maire,
Un décret impérial du 12 de ce mois a institué une Médaille commémorative qui sera accordée à tous les anciens militaires qui ont servi de 1792 à 1815. Pour assurer l’exécution de ce décret, S. E. M. le Ministre de l’intérieur me demande un relevé de tous les anciens militaires de la Drôme qui se trouvent en position de revendiquer le bénéfice de ce décret. Je vous prie donc de déclarer l’état ci-joint et de me le renvoyer par retour du courrier, si cela se peut, après l’avoir garni.
Cet état comprendra instinctivement tous les anciens militaires de votre commune qui auront servi dans la période ci-dessus indiquée, et quelle que soit leur position de fortune, la durée de leurs services et leurs grades, qu’ils soient pensionnés ou non, et qu’ils aient ou n’aient pas reçu de décoration.
Vous mettrez d’autant plus de soin dans le recensement que vous ferez de ces anciens débris, que toute réclamation qui me parviendrait après l’envoi de l’état serait considérée comme non avenue.
Agréez, Monsieur le Maire, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Le Préfet de la Drôme,
Ferlay

Le dépôt d’archives départementales de la Drôme n’a malheureusement pas conservé ces recensements et, pour Saint-Rambert-d’Albon, comme pour toutes les autres communes drômoises, le seul moyen de connaître ces anciens vétérans est de consulter la liste nominative des ayants droit contenue dans le registre dont nous avons parlé plus haut. Notons que sur les 3 647 personnes qui ont revendiqué ce droit, à la date du 8 octobre 1857, après vérification des états dans les bureaux de la Grande chancellerie, seulement 3 577 demandeurs ont obtenu cette fameuse médaille.
Voici les récipiendaires de la médaille de Sainte-Hélène, domiciliés à Saint-Rambert-d’Albon, en 1857 : Charles CHABERT, 63 ans, soldat au 92e de ligne pendant la période 1813 à 1815 ; Joachim CLUT, 72 ans, soldat au 120e de ligne pendant la période 1807 à 1815 ; Pierre COINDET, 67 ans, soldat au 35e de ligne pendant la période 1813 à 1815 ; François FLAVIN, 72 ans, soldat au 1er de ligne pendant la période 1806 à 1813 ; Pierre GAUZAN, 67 ans, soldat au 67e de ligne pendant la période 1812 à 1815 ; François MICHELON, 65 ans, soldat au 4e hussards pendant la période 1810 à 1815 ; Louis MORET, 80 ans, soldat au 37e demie brigade pendant la période 1795 à 1802 ; Jean NIVON, 63 ans, soldat au 9e de ligne pendant la période 1813 à 1815 ; Honoré PELLUYET, 63 ans, sergent au 92e de ligne pendant la période 1813 à 1815 ; Pierre ROMANET, 67 ans, soldat au 13e de ligne pendant la période 1811 à 1816 ; François ROZIER, 62 ans, soldat au 11e, 36e et 79e de ligne pendant la période 1814 à 1815 ; Jean-Pierre WATHIER, 53 ans, capitaine, enfant de troupe au 2e d’artillerie à cheval et 15e d’artillerie pendant la période 1806 à 1857.

Les médaillés de Sainte-Hélène


Cette liste est-elle exhaustive ? On peut en douter lorsqu’on lit cette lettre émanant de la sous-préfecture de Montélimar, en date du 3 décembre 1857 : Quelques maires de mon arrondissement m’ont écrit pour m’annoncer qu’un certain nombre d’anciens militaires de la République et de l’Empire, avaient négligé de se faire inscrire en temps opportun, pour obtenir la médaille de Ste Hélène. Malgré le silence gardé par un grand nombre de maires je suis persuadé que le chiffre des anciens militaires qui ont oublié de se faire inscrire est considérable. J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me faire connaître s’il ne serait pas à propos de réclamer aux maires des listes supplémentaires afin que tous les vieux soldats puissent obtenir cette distinction flatteuse. Deux listes supplémentaires sont effectivement élaborées par la suite et, dans chacune d’entre elle, nous avons retrouvé une personne. Il s’agit du soldat Pierre ROMANET et du capitaine Jean-Pierre WATHIER.
Pour compléter cet écrit, nous avons pris la peine de vérifier si leur acte de décès est enregistré dans les registres de l’état civil de Saint-Rambert-d’Albon, histoire d’en savoir un peu plus sur eux. Comme on pouvait s’y attendre, tous n’ont pas fini leurs vieux jours dans la commune. C’est le cas de François MICHELON, Pierre ROMANET, François ROZIER et Jean-Pierre WATHIER, partis probablement vers d’autres lieux. Pour les autres, voici un bref aperçu de nos recherches :
Charles CHABERT, cultivateur, né à Beaurepaire, est décédé le 22 décembre 1861 à l’âge de 69 ans. Il est le fils de Charles et de Virginie VELAY et époux de Marie BERNARD ; Joachim CLUT, cultivateur, est décédé le 27 novembre 1857 à l’âge de 72 ans. Il est le fils de Jean et de Marguerite GUERRY et veuf de Rose CLEU ; Pierre COINDET, cultivateur, né à Saint-Rambert-d’Albon, est décédé le 22 février 1860 à l’âge de 70 ans. Il est le fils de Pierre et de Marie-Anne PIN et veuf de Rose ROBIN ; François FLAVIN, cultivateur, né à Saint-Rambert-d’Albon, est décédé le 17 avril 1862 à l’âge de 76 ans et demi. Il est le fils de François et de Marguerite BERGER et époux de Marie REGNIER ; Pierre GOZAN (graphie de son acte de décès), cultivateur, né à Albon, est décédé le 2 avril 1876 à l’âge de 83 ans. Il est le fils de Claude (le nom de sa mère n’est pas renseigné) et veuf de Marie DESGRANGES ; Louis MARET, (graphie de son acte de décès), rentier, né à Saint-Rambert-d’Albon, est décédé le 12 décembre 1861 à l’âge de 92 ans. Il est le fils de Pierre et de Margueritte BOURGUIGNON et époux de Françoise OLLIER ; Jean NIVON, cultivateur, né à Saint-Rambert-d’Albon, est décédé le 13 octobre 1864 à l’âge de 70 ans. Il est le fils de Jean (le nom de sa mère n’est pas renseigné) et veuf de Marie MOMEAT ; Honoré PELLUYET, né à Roussillon, est décède le 31 octobre 1859 à l’âge de 66 ans. Il est le fils de Michel et de Marguerite Collet. et époux de Marie Fabre. Avant l’érection de Saint-Rambert-d’Albon en commune, il remplissait les fonctions de garde champêtre [1]. Ces mêmes fonctions lui sont renouvelées par le conseil municipal lors de sa session du 9 août 1840. Elles sont approuvées le 21 du même mois et, pour entériner ces activités, il prête serment entre les mains du juge de paix du canton de Saint-Vallier.


[1] Le premier rôle du garde champêtre était d’informer la population à l’aide de son tambour. Oyez, oyez, braves gens, criait-il en sortant la chose magique de son baudrier. Avissss à la population. Il m’a été demandé par l’autorité représenté par monsieur le maire, de vous faire savoir se dont je vais vous parler. Il était celui que l’on attend pour savoir.